Bissectrice du Grand Vélo Paris, et Médiatrice du Train à Grande Vélocité, Georgina Amarre revient aujourd’hui pour une interview en exclusivité sur RadioGagare, la radio qui t’égare !
Bonjour Georgina, nous sommes heureux de vous accueillir dans les locaux de Gagare qui, on le rappelle ont vu le jour suite à la pétition des 100 millions pour la réconciliation du Temps et de l’Espace. Vos travaux scientisensibles sur la vélocité ont modelé en grande partie l’Archipel, et j’aimerais si vous le voulez bien, pour commencer, que nous revenions sur ses origines.
La vélocité, il faut le préciser, n’est pas neuve, elle a toujours existé, mon travail a constitué en quelques sorte à re-solliciter sa présence, à la réintégrer dans le champ des sciences. Au début de mon activité, l’hybridation scientisensible n’était pas aussi importante qu’aujourd’hui, et les quelques alliés de la cause se voyait tantôt cataloguer de rêveurs, d’utopistes ou encore de militants endoctrinés par leurs affects. Il fallait faire preuve d’abnégation pour défendre la scientisensibilité, et la vélocité a su rassembler et réunir les deux camps, de la science et du sensible. Cela a commencé avec l’essor du vélo et le projet Grand Vélo Paris : de là, on a pu pointer l’écueil du couple vitesse-lenteur, ça a pris du temps, mais pas de vélocité sans vélo !
Le couple vitesse-lenteur, vous voulez parler de cet ancien rapport à l’espace-temps dans nos mobilités, c’est bien ça ?
Oui, la société mobile ne pensait qu’à travers ces deux dimensions, la vitesse ou plutôt l’accélération, ou bien le ralentissement, la lenteur, allant jusqu’à l’arrêt. On tentait de réguler la vitesse et d’inciter au ralentissement mais sans creuser plus en profondeur la question de la signification, du pourquoi. Le temps était en passe de devenir saturé, tout comme l’espace : on n’allait pas plus loin, ni plus haut, ni plus profond, mais on allait tellement vite, que les notions de passé, présent, futur n’étaient plus que jeux d’esprits, outils narratifs vieillissants d’écrivains et d’historiens. Nous comprenons bien aujourd’hui ce qu’on a nommé le turbocapitalisme, notamment à travers les films de l’époque NetSpeed que certains aiment à regarder par nostalgie.
La lenteur n’était donc pas à la mode…
Il y a eu, à l’inverse, des adeptes du courant Slowlife. On les oublie souvent, je m’y étais beaucoup intéressée dans mes recherches, j’ai même été Slow-habitante pendant un an, une expérience qui a alimenté l’avènement de la scientisensibilité. Lenteur, décroissance, Slowlife, dolce vita, tous ces modes de vie mobile n’ont pas eu le succès escompté et pour cause, ils n’étaient accessibles qu’à une minorité de la population, celle qui avait accumulé assez de Speed-monnaie pour pouvoir s’offrir le luxe de regarder les fleurs pousser dans leur jardin. Et encore, la lenteur s’est vite révélée difficile à tenir. L’intention était bonne, mais même le plus végétal des habitants d’une CittaSlow ne pouvait résister à la tentation, un jour ou l’autre, d’une virée en autoberceuse magnétique quand la propagande Tespala arrivait au village.
Vous avez eu l’occasion de monter dans une Tespala ?
Oui, je l’avoue, c’était fort agréable de voyager en position fœtale. Mais je suis soulagée que ces autoberceuses soient révolues aujourd’hui, elles avaient l’air de cultiver la vélocité mais en vérité elles étaient dangereuses, justement parce que tout reposait sur l’illusion du voyage.
Mais pour revenir au duo vitesse/ lenteur, je me souviens de mes premières réflexions sur la vélocité : il fallait trouver une issue, une troisième voie, en jouant sur les mots.
Le fameux : « Si vous voulez convaincre les gens de la lenteur, redonnez-leur le goût de la vraie vitesse[1] »
Oui, cette phrase fût le point de départ. Elle m’accompagne encore en conférence. C’est elle qui a permis l’existence du Grand Vélo Paris.
Aujourd’hui le Grand Vélo Paris semble un peu désuet, surtout à l’ère des data-poïèses !
Ne brûlons pas les étapes ! Grand Vélo Paris c’était le début des vies véloces, on peut le critiquer aujourd’hui mais je le répète, pas de vélocité sans vélo ! La politique de la roue-libre, inspirée du modèle d’Amsterdam, s’est imposée doucement : fin des autoroutes, essor du train-vélo, vélobus, side-vélo, covélo…Il a fallu tous ces imaginaires pour mettre un terme au schisme spatio-temporel. Être vélox bipède, ou simplement bipède, c’était s’ouvrir à une autre vitesse. En tant que bissectrice, j’étais chargée de faire la part des choses et de répartir le plus équitablement possible la vélomobilité à l’échelle du territoire. Grand Vélo Paris a eu le mérite de mettre en place un abandon total de l’automobile tout en n’excluant aucun habitant d’un mode de vie mobile. Mais cela ne fut possible que par une réflexion collective, une recherche poétique et scientisensible : vivre véloce n’est pas simplement une histoire de transports à vélo mais d’un changement profond de nos pratiques individuelles et collectives, sociales, psychiques.
Peu s’en souviennent, mais le Tri(Re)cycle est né avec Grand Vélo Paris, cette fête vélopoétique existait avant, sous une autre forme, on l’appelait « Tour de France ». Une course qui déchaînait les passions mais qui ne se résumait qu’à une trace, un chronomètre et une sombre histoire de drogues…bref toute la décadence de la société de l’Espace et du Temps opposés.
Et la Roue de l’année néopaïenne ?
Oui, elle existait déjà mais avait été récupérée par le turbocapitalisme. Les saisons heureusement n’ont pas attendu le marketing et big data pour mener leur propre danse. La roue de l’année tourne et tournera…
On a bien saisi l’importance du vélo, mais justement, comment avez-vous amorcé le passage du vélo à la vélocité ?
C’est le moment de parler du monde ferroviaire et du train à grande vélocité. Une fois que le vélo s’était installé dans les habitudes, qu’on a commencé à recevoir suffisamment d’endorphine et donc à réduire notre stress sociétal, les pensées se sont peu à peu ouvertes à un imaginaire plus libre et décomplexé. Les algorithmes nous ayant un peu laissé tranquille, les pétitions ont commencé à se développer, doucement on se posait des questions sur une refonte totale de notre rapport à l’espace-temps. Pétitions pour « le temps de vivre », « l’attente comme une détente », « les centres non-commerciaux », « la réhabilitation des lieux communs » ou même « la fin des mètres carrés ! ». Et le ferroviaire a été un allié précieux, voire un véritable tremplin pour la révolution véloce, la vélorution !
Les ingénieurs du TGV ont accepté peu à peu de transformer la Vitesse en Vélocité. La transition fut facile, tout simplement parce que le sigle pouvait être conservé, et que le train avait gardé un terreau véloce, contrairement à l’automobile qui s’en était tant éloignée. Le mouvement véloce n’est ni rapide, ni lent, ni efficient ni inutile, il fait du mouvement une rencontre, un lien. Nous allons bien quelque part, mais en sollicitant nos sens, nos goûts, notre créativité.
Ce nouveau TGV a commencé avec l’apparition des wagons à thèmes, qui permettaient aux passagers de se rencontrer selon leurs envies : wagon-littéraire, wagon-jazz, wagon-yoga, ont été testé, avec de grands succès parfois, mais aussi de cuisants échecs : le wagon-discorde pour promouvoir le débat a je pense été lancé trop tôt, cela a créé des violences et donné bien du fil à retordre à la police ferroviaire de l’époque. Des wagons, nous sommes passés au kilométrage émotionnel, et très vite le train a commencé à se tourner vers son milieu non-humain, grâce aux éco-acousticiens notamment, nous avons pu apprécier le chant des oiseaux depuis nos sièges, puis sentir l’odeur d’une forêt aux abords des rails, tous ces petits changements ont permis d’introduire la pensée véloce dans nos mouvements.
La SNCF s’est en effet totalement branchée sur le mode véloce, jusque dans l’organisation de l’entreprise !
Oui, il y a encore quelques années, si on avait parlé aux dirigeants de l’existence de SNCF Résilles, ils nous auraient probablement ri au nez. Et pourtant SNCF Résilles est devenue la branche la plus importante, dans le soin et le lien du train aux vivants. D’autres ont suivi, notamment SNCF Métaphores qui s’appelait auparavant tristement SNCF Voyageurs, ou encore Recherche&Innovation, aujourd’hui Recherche&Vélocité. Sans oublier bien sur Radio Gagare, liée à SNCF Gares et Rhizomes. Rappelons aussi, que rien n’aurait été possible sans la prise en compte de la parole de tous les chemineaux !
Aujourd’hui, la vélocité n’est plus qu’une affaire de vélo ou de train, elle est arrivée sur les routes !
Oui, enfin ! Nos amis de l’automobile, les pauvres, ayant été bien malmenés du temps de Grand Vélo Paris, ont rejoint le mouvement. La route a retrouvé son essence première, celle du chemin, de la via et de la rupture (le mot route vient du latin rupta, à l’origine une voie creusée dans la roche). En faisant de la route une calligraphie, nous en avons fini avec la route de la liberté ou de l’entrave, nous vivons les routes en elle mêmes et pour leur vocation initiale, de lien. Les anciens GPS qui guidaient chaque trajet sont de moins en moins utilisés, au fur et à mesure que la vie véloce gagne du terrain.
Personnellement, j’ai un faible pour la nouvelle sygnalétique !
Et comment ! Les tristes panneaux routiers de naguère se sont envolés à juste titre, puisque pour s’orienter aujourd’hui, il nous suffit de regarder le ciel, et de suivre les oiseaux. L’apprentissage est un peu long mais les écoles de langue des cygnes se multiplient. Les conducteurs d’autovéloces sont aujourd’hui de véritables écrivains de la trace.
Les autovéloces ont vu le jour en grande partie grâce aux grandes pétitions !
Oui, et grâce à l’activisme joyeux contre les voitures encore conditionnées par le couple vitesse/lenteur et la séparation du temps et de l’espace. Rappelez-vous du SUV, ce véhicule « sportif », aujourd’hui nous parait insensé, chacun sait que le SUV n’a rien à voir avec le sport ! De même, les monospaces ont été remplacés par les tierspaces, des véhicules de véritable partage…
Est-ce que votre conception de la vélocité a évolué au fil du temps ? Comment envisagez-vous sa suite, ou peut-être, sa fin ?
De la même manière que nous sommes passés du transport à la mobilité, de la mobilité à la vélocité, il y aura peut-être un nouveau concept qui prendra la suite et nous devrons l’encourager, sans pour autant oublier que les vieilles méthodes, Innovation et Disruption planent toujours dans l’esprit de certains industriologues. La vélocité évolue bien sûr, elle se réinvente selon les domaines et les espaces-temps. La vélocité numérique nous apporte de nombreuses réflexions nouvelles, depuis que les algorithmes ont accueilli les algorythmes dans l’optique scientisensible. Les Résilles sociales font également beaucoup de bien aux individus, leur permettant de se rencontrer et de s’imaginer collectivement. La refonte de la théorie informatique et statistique nous permet d’envisager à la racine même de la science, le fait poétique.
Que pensez-vous justement de la datapoièse ?
Que la vélocité, désormais indispensable à nos roues-tines, puisse poétiser Data, en lui redonnant son statut d’étant, de passage libre et rêveur, est une merveilleuse idée ! La datapoièse ne doit pas être jugée avec mépris, oui en tant qu’optimiste, je pense qu’on arrivera à penser poétiquement les données mobiles.
Merci beaucoup Georgina pour votre témoignage précieux qui nous rappelle ô combien la vélocité est importante pour bouger et penser sur Gaïa. Pour terminer, et comme le veut la tradition sur radio Gagare, je vous laisse regarder par la fenêtre…
Avec plaisir ! Je vois justement un sygne dans le ciel, le V des oies sauvages, quelle synchronicité ! Je propose donc à tous les auditeurices, une petite balade pour les suivre. A vélo bien sûr !
C’est parfait ! Rendez-vous donc à ceux et celles qui le souhaitent, avec vos vélos ou covélos, sur la route calligraphique de Gagare dans quelques minutes.
Merci de nous avoir écouté, vous êtes sur radioGagare, la radio qui t’égare, je vous souhaite à tous, de joyeux égarements ! Nous recevrons dans notre prochaine émission Rolande Tharbes qui nous parlera en détail de scientisensibilité avec la sortie de son ouvrage « la couleur des équations »
[1] G. Amar, Ars Mobilis, repenser la mobilité comme un art.