Pour ce qui vit

récit de nasse par une claustrophobe

Metaphora
2 min ⋅ 15/06/2024

Pour ce qui vit

Palpite au fond de la gorge, mi doux mi acide,

Hurle son désespoir, son espoir désespéré. Amour et Rage.

On était là le 24 mai 2024. Devant l’immeuble d’Amundi.

Je suis là, j’ai été là

Pour ce qui vit.

J’ai peur quand ça crie, quand ça éclate,

                J’ai peur de la police, j’ai peur de tout.

J’ai eu peur parce que je suis claustrophobe,  c’est con ! On était enfermés dehors, et je pensais « si je me retrouve en gav, je ne pourrai pas sortir, enfermée combien d’heures,  je ne pourrai pas cacher mon angoisse, elle va exploser, après tant d’années d’évitements, elle va surgir et me terrasser, l’angoisse »

Toute cette peur m’a enveloppée, pendant 9h. Nassés devant Amundi. Je revois encore cet immeuble gris brillant au soleil, presque noir, grandes vitres. Parfois des têtes en sortait pour regarder. Amundi A-monde, Immonde.

Je serrais fort la main d’O.

Il me caressait le bras, doucement.

Je tremblais par moments.

Je criais avec les autres, pour bousculer ma frousse, pour entendre ma voix bien vivante. Cœur tellement serré dans la nasse.

 Nous avons même dansé, épaule contre épaule, en tas grouillant. Les yeux de ce gars étaient si vifs, pétillants de joie, joie dans le chaos d’amour et de rage. Il nous a fait danser devant eux, les casqués-blindés.

Eux qui arrivaient par vagues imprédictibles,

                et piochaient dans le tas.

               Plouf, plouf ce sera toi ! Tu es pris, traîné, poussé, fouillé, emporté. Terminé fini. Tu te tais. Humilié. Et…quoi après ? Où iels vont ? Quand ? Comment ?

 

Motif d’enfermement ?

               Elle a peur de la mort.

               Il a peur de l’avenir de son gosse.

               Elle a envie de croire à l’espoir

              

Il sait que les actions permettent le changement. Toujours.

               Elle déteste la violence.

Iels ont été briéfés, ont réfléchi, ont discuté, ont choisi d’en être. Ensemble. Chacun et chacune portait avec soi la bienveillance fondamentale, le souci du soin, « tout va bien ? qui a mal ? qui a faim ? Qui a peur ? De quoi tu as besoin ? Tu me tiens ? »

Une nasse d’humanité,

D’humanité vivante. Soleils enflammés dans le cœur.

               Et parmi elleux je tenais, sans réussir à sourire. Je tenais à visage fermé par la peur qui me travaillait le corps. « Ne craque pas. Retiens toi. »

               Ce que je n’ai pas pu retenir, ce sont mes besoins intimes. Mal au ventre qui remonte à la gorge, qui remonte à la tête. Malaise. Une bâche tendue par deux femmes, et j’ai fait pipi sur les pieds des crs. Comme toutes, ahuries dans notre prison de ciel parisien, vue sur la tour Eiffel au loin….

Qu’est-ce que ce monde ?

               Le monde de Total. Qui broie l’Ouganda, qui broie les kichwas, qui tue le vivant à coups de greenwashing, bien à l’abri dans les bras du gouvernement. L’immonde.

 

9h plus tard. Je suis sortie, j’ai abandonné mon anonymat. Mes nerfs ont craqué, liquides. Rivière de larmes et rivière de pisse sur le bitume.

« Résiste. Prouve que tu existes » chantait France Gall dans le téléphone collé au mégaphone, pour nous donner du courage

C’était la première fois.

Ce ne sera pas la dernière

               Pour ce qui vit en nous.

               Vivons.

Metaphora

Metaphora

Par Marie-Emilie Porrone