Hiérapolis

Impressions des villes invisibles de Turquie. Un texte qui devait être inclus dans le fil conducteur et qui est passé à la trappe durant le processus éditorial ! Le voici donc.

Metaphora
2 min ⋅ 19/09/2024

Hiérapolis

« La lueur de la transparence de la parole provient de la lueur de ce monde invisible qui tombe sur la parole lorsqu’elle est silencieuse en l’homme. »

Max Picard,le monde du silence

Il est cinq heures, le long du chemin désert qui mène au-dessus du village. Une brise fraîche vient picoter nos bras nus. Le ciel se décolore, bleu rose, la lumière grimpe sur les collines, d’en haut nous la voyons atteindre, seconde après seconde, les concrétions blanches. Pamukkalé se dévoile dans l’aube, nous assistons à son réveil.

Les lacs blancs étalés de paliers en paliers se mettent à étinceler l’un après l’autre au passage du jour, sans un frémissement. L’eau, miroir bleu lacté, dort encore.

Nous écoutons le silence.

S’approcher, lentement poser le pied et sentir la caresse sur la peau. L’eau ne me saisit ni ne me mord, elle est douce et chaude comme un rêve. Nous nous asseyons sur ces drôle de nuages pétrifiés. Les formes géologiques prennent la parole, l’eau recueille cette parole, immobile et attentive au moindre son du calcaire.

Nous écoutons le silence. Il nous permet d’entendre ce coléoptère qui vient de se poser à nos pieds. Ses élytres frémissent, la carapace grince sous la brise, ses pattes accrochent le sol lisse, il est de passage, comme nous dans ce curieux paysage. Il peigne l’air avec ses antennes en longs cils gracieux, oscillantes de gauche à droite. L’animal sait ce que raconte le silence, il nous apprend à percevoir à notre tour, les craquements intimes de la roche. Derrière le monde blanc, une croûte orangée : la cité de Hiérapolis.

A demi camouflés par le dépôt calcaire, les blocs de pierre taillée respirent faiblement entre leurs jointures. La cité est dorée, elle semble sortir du four brûlant de la terre, libérée de toute présence humaine. Nous passons devant les demeures antiques sans savoir leur histoire, le fil chronologique s’est emmêlé quelque part dans le ciel rose de cinq heures. Nous ne savons rien de ces vestiges, romains grecs ou chrétiens, nous n’avons ni carte, ni plan, seul le silence nous guide. Les pierres parlent de nous autant que nous parlons d’elles. Elles nous touchent, nous les touchons. Elles parlent de guerres et d’amour, mais elles chantent aussi les séismes des profondeurs, elles se rappellent les glissements de l’eau, elles racontent les fracas de l’air. Nous pouvons apprendre à les entendre par nos déambulations incertaines, sans date, sans preuve, sans paroles autoritaires.

Avec le silence plein du monde.

Celui qui réunit tous les temps, amplifie les existences, accueille toutes les paroles de l’aube.

Ne rien savoir, tout écouter.

Dans l’invisible de Hiérapolis, on entend le blanc et l’orange, les pattes du coléoptère, les craquements des pierres. Des murmures sans mesures.

Metaphora

Metaphora

Par Marie-Emilie Porrone