Les fous

J'ai visité il y a peu l'exposition "Les figures du Fou" au musée du Louvre. Un thème qui m'a beaucoup intéressée en tant que personne concernée ! Affaire à suivre...

Metaphora
4 min ⋅ 18/11/2024

Hall Napoléon, musée du Louvre. 08H00. Il fait encore noir dans les salles de l’exposition. Le danseur de mauresque arrive en dansant, doucement puis de plus en plus rapidement ses postures s’enchaînent avec grâce et vigueur dans le silence.

Scène 1 

Le Danseur de mauresque : Fous ! Fous ! Le matin arrive, ne vous endormez point, êtes-vous avec moi ?

Silence

Fous ! Fous ! Ne vous endormez point car le matin arrive ! Je vous vois et viens à vous, êtes-vous avec moi ?

Arrive le Fou de Bruegel sur son tonneau, celui du tableau Le Combat de Carnaval et de Carême.

Le Fou de Bruegel, sur son tonneau : Monsieur l’acrobate ! Tu croâsses à toute gorge ! Eh bien ! Ventre plein-Tonneau plein aaaaah, Roulons-Buvons, Buvons-Roulons !

Il fait rouler son tonneau jusqu’au Danseur, entame une ronde en chantonnant un air médiéval

Le danseur de mauresque ; Buveur du Nord, tu es l’homme qu’il me faut !

Le fou de Bruegel : chante. Roulons-Buvons, Buvons-Roulons, je ne dors point’ch ‘qu’à d’main !

Le Danseur : Il fait sonner ses grelots aux pieds en cadence. Nous allons réveiller la Communauté, c’est l’heure du renouveau, la Nef revient, la danse s’agite, la Folie enfin de retour parmi les hommes !

Le Fou de Bruegel , s’esclaffe : avec joie mon ami, avec joie ! Mais de quelle Folie tu parles ? Autant de fous que de Folies sont réunis dans ce lieu !

Le Danseur de Mauresque : Ah mais, tu es bien l’un des sujets de Pieter Bruegel ?

Le Fou de Bruegel : Lui même !

Le danseur de Mauresque :  Et tu viens bien de Carnaval ? 

Le fou de Bruegel : J’en viens, tout peinturé et Fol Dingo !

Tout en parlant il fait tourner son tonneau à toute vitesse, puis grimpe dessus.

Je cherche un bon ami du Monde Renversé, celui qui chie sur le monde, on devait boire ensemble il m’avait dit qu’il serait à la bonne ville de Paris alors j’ai pris mon tonneau, je me suis mis en route, et sur la route « Roulons-Buvons, Buvons Roulons! » Et alors j’ai tout bu !

Le Danseur :  Tu voyages, alors tu les as vu !

le fou de Bruegel :  Je suis Venu, j’ai Bu, j’ai Vu !

Le danseur :  Oui et tu n’as rien remarqué ?

Le Fou de B. : Quoi ? Paris ? La Tour Eiffel et tout ça, oui oui j’ai tout Fait, Montmartre, les champs élysées ! Et tous ces blasons du bon roi Louis Vuitton ! C’est dingue !

Le danseur : Mais tu les as vu non ?

Le fou de B : Qui ?

Le danseur : mais eux ! ll désigne le public. Tu les vois comme moi tous les jours à passer devant nous dans les musées, ils sont mornes, dépressifs, arrogants, riches, prétentieux de Savoir, Aveuglés de leur rationalisme ! Insupportables de Raison Raisonnable ! Ils sont Tristes. Ils se décrépissent, se ratatinent. C’est terrible !

Le Fou de B : Oh ils m’ont l’air tout aussi fous que nous, ces gens…

Le Danseur : ils le sont, mais ils l’ont oublié…Et cette nuit, alors que je ne pensais à Rien, c’est arrivé : j’ai senti mon grelot frémir

Le Fou de B : Parbleu ! il tombe de son tonneau

Le Danseur :  J’ai d’abord cru à un sortilège et le grelot a sonné tout seul, encore ! Alors j’ai écouté, et j’ai compris, c’était l’appel des fous : pour redonner du non-sens à ces pauvres gens apathiques et désespérés, perdus, fliqués, outragés, rompus et tourneboulés, Il nous faut un bon Carnaval, quelque chose de gargantuesque, la vraie Pagaille et Ripaille, la grande Ronde des fous ! La Danse des Insensés !

Il faut les sortir de là !

Le fou de B : moi pour ripailler je dis : OUI ! Séant !

Le Danseur : Il n’y a plus qu’à réunir les autres 

Le Fou de B : les autres…Ah les autres !!! Tu crois qu’ils viendront ?

Le danseur :  Nous allons les réveiller. Il appelle  Fous ! Fous ! Le matin arrive

Le Fou de B : Attends ! Dans la salle là bas, il y a des pas nets. Le moine, le philosophe, et la femme, j’ai des doutes. Qui sait quels genres de fou ils sont, enfin toi et moi on se comprend, tu danses, je bois, tout va bien mais eux…

Le Danseur : s’ils sont vraiment fous, pourquoi refuseraient-ils ?

Le Fou de Bruegel : Oui alors c’est ce que je disais à mon ami celui qui chiait sur le monde, que jamais il n’avait pensé au monde qui un jour lui chierait dessus, alors ça, c’est le monde à l’envers à l’envers ça, qu’il disait oh oui et pourquoi pas hein pourquoi pas le monde inversé qui se réinverse, le monde comme un tonneau qui se retourne et donc,  qui tourne autour de qui, qui est fou hein ? On ne sait plus ! Alors oui, peut être dans ce cas

Arrive Quasimodo éructant, boitant,

Quasimodo :  Que faites-vous là ? les visiteurs arrivent dans deux heures !

Le Danseur : Nous faisons là un grand Départ : nous allons organiser le retour du Carnaval sur terre !

Le Fou de B :  la Ripaille et Pagaille ! La fête des Fous ! Le Charivari qui chavire la chaloupe et fait tonner les tonneaux !

Quasimodo : Vous feriez mieux de pas traîner, le musée va bientôt ouvrir.

Le fou de B : à Quasimodo  Tu as entendu son appel ou tu es en voyage, toi aussi ?

Quasimodo : Je fais ma ronde. Comme tous les matins. Et vous devriez retourner dans vos œuvres.

Le Danseur : Quasimodo tu t’es levé à la bonne heure, l’heure de ton glorieux retour à Notre Dame ! Vois, nous sommes tous ici à Paris, au Louvre ! On nous a réunis c’est bien pour une…pour une…je n’aime pas dire ce mot mais c’est pour une « Raison » !

Quasimodo : C’est pour une exposition monsieur, une exposition, c’est tout. Hélas.

Le Fou :  l’Acrobate dit vrai, il a eu le signe : son grelot a frémi !

Quasimodo : ah ? En êtes-vous sûr ?

Le Danseur : aussi sûr que ma certitude !

Quasimodo : a- t-il frémi ou franchement tinté ? N’était ce pas  le songe de votre nuit ?

Le Danseur : de la pointe de l’orteil jusqu’à mes oreilles, je l’ai entendu du dedans et du dehors, là, là et là ! Du frémissement à la sonnaille, tu comprends Bossu, mieux que moi, le langage de tout carillon, grelot ou clochette !

Quasimodo : Je n’entends plus grand-chose, mais je perçois ce que tu dis et comment ça tinte, là, à l’intérieur

Le fou de B : tu vois, il faut réveiller les autres, ils sont comme pierre, ils se taisent. Aide nous sonneur, toi tu peux !

Quasimodo, réfléchit : hum…Ça fait si longtemps que je n’ai pas salué mes cloches…

Le Danseur : mais oui !

Quasimodo : d’accord. Je peux les réveiller, mais moi je n’irai pas plus loin. Je n’ai pas le cœur à la fête.

Le Fou de Bruegel : Allons ne sombre pas dans la mélancolie, on sait ce qui arrive aux mélancoliques, faut pas se laisser abattre !

Quasimodo : Ecoutez je vais sonner les cloches parce que…Votre grelot, j’y crois, vous avez eu un signe du Ciel, mais le Carnaval pour moi s’est terminé à la fin du livre. Ne m’en voulez pas, je préfère rester là, dans mon film de la salle 5 je peux la revoir, elle…

Quasimodo s’en va

Le Fou de B : Eh reviens ! En voilà un qui donne envie de se noyer dans la bière…Eh attends je t’offre un verre !

Le Danseur : laisse-le donc, le pauvre, c’est un romantique, il a été écrit au XIXe siècle

On entend sonner la cloche de Quasimodo.

Metaphora

Metaphora

Par Marie-Emilie Porrone